Itinéraires des migrations oasiennes

Publié le par Kostani Ben Mohamed

Itinéraires des migrations

Cas des oasis du sud est marocain*

La migration comme concept sociologique, s’insère méthodologiquement sous les théories du changement social comme phénomène naturel connu par toutes les communautés pendant toutes les périodes historiques. D’où sa dimension anthropologique fondamentale qui définit l’homme comme un animal migrant, animal qui ne limite son existence dans des espaces naturels restreints et donnés d’avance, mais tout à fait au contraire, l’homme par sa capacité d’adaptation a toujours pu et su transformer la nature ou tout au moins se transformer lui-même pour s’adapter, ce qu’aucun animal ne peut faire.

La migration donc est une dynamique sociale liée à la volonté d’améliorer les conditions de vie et la recherche d’autres initiatives.

Et ainsi d’autres concepts de sociologie fondamentale interviennent, c’est la mobilité sociale et la stratification, et enfin la mondialisation phénomène englobant et encore non saisi épistémologiquement.

De tout ce qu’on vient d’énoncer la migration est une notion complexe, pluridimensionnelle et problématique, et sa réduction à des évidences comme la pauvreté, ou ses résultats néfastes sur les pays d’accueil, ou même sur les pays de départ n’apporte pas beaucoup d’intérêt ni sur la réflexion ni sur le terrain. Les réalités sont plus complexes qu’on le croit, et la définition même de la pauvreté est problématique.

La réalité migratoire est difficile à conceptualiser, elle n’est pas théorique, elle est d’ordre empirique, ce qui implique la nécessité de l’approche inductive et l’étude de cas comme entrée méthodologique.

Il s’agit ici de suivre les itinéraires spatiaux et temporels des migrations oasiennes, Gheris, Ferkla et Toudgha, dans les oasis d’abord, et dans d’autres contrés marocaines, puis en Algérie dans les années quarante, cinquante, et enfin en Europe.

Les migrations et les déportations historiques « le kassr »

Les oasis ont connu des formes de migrations multiples, parmi celles-ci les déportations, la tradition orale ne parle presque point de migration voulue et intentionnée, mais toujours la migration est à contre grés, la légende raconte que le premier migrant a su créer un alibi pour son acte, il construit une comédie dont il demanda à l’un de ses fils de le gifler devant l’assemblé des gens de la tribu à la place du village, et il jura de ne plus résider dans le pays où les fils giflent leurs parents. Ainsi le migrant est toujours mal vu par les autochtones. Le migrant est ainsi appelé « Imchki » littéralement le perdu, celui qu’on a perdu. Une culture de migrer n’est pas oasienne, et peut être pas marocaine.

Les déportations sont causées soit par les ghézous de nomades, et parfois même par les batails intestines des sédentaires entre eux, phénomène moins important, et enfin par les déportations makhzanéenes des tribus rebelles. Il va sans dire l’importance des départs involontaires causés par la désertification, le vent dit la tradition orale.

Comme exemple de « kassr » des nomades aux sédentaires, on peut parler de la grande invasion des Ayt Yaflman, confédération de tribus montagnardes, aux oasis du sud est marocain à la fin du 19sc, et la fuite des ksouriens vers les villes intérieures, Azrou et Mekhnès, événement majeur qui peut être à lui seule thème de réflexion, la démographie, la culture et les valeurs oasiennes fussent bouleversées.

Pour ce qui est des batailles intestines, on peut citer les magouilles des clans qui finissent par faire appel aux tribus ou aux confédération nomades.

Les déportations de Moulay Ismail, le sultan alaouite, atteignaient les oasis, et le cas des Malwan et leur exil à Marrakech est bien révélateur.

Le vent, quant à lui est derrière le départ tragique des tribus arabes Beni Hssan qui résident actuellement prés de la capitale, en laissant derrière eux leurs ksours et leurs champs engloutis par le sable. C’est une histoire bien ancrée dans la mémoire des oasiens de Gheris et de Ferkla.

Les migrations saisonnières « Ichwaln »

Ichwaln, littéralement, les moissonneurs, sont les jeunes hommes oasiens qui voyagent à pied ou à bicyclettes, et dans les meilleurs cas dans des camions, chaque juin pour des régions parfois très loin pour revenir fin août avec des sac de blés et d’orges. Migration qui devient forte chaque année de sécheresse.

Ces voyages s’effectuent vers trois régions de l’intérieur du Maroc, la première, vers ce que les oasiens appellent « les arabes des limites ! », il s’agit du plateau des phosphates, Oued Zemn et Boujaad, où le blé mûrit plutôt que les autres régions. Après ils reviennent vers Khénifra, la belle capitale de l’Atlas, et c’est la plus vantée des régions dans les veillées des oasiens, le fleuve Oum Rabiaa, les belles femmes berbères et la générosité légendaire des zayannes. « Les moissonneurs sont pour nous les enfants de Khénifra comme les oiseaux migratoires, des signes les annoncent quelques jours avant leur arrivée comme les fourmis qui annoncent l’été, ces signes sont les foules de fous, de clochards et de sans abris qui envahissent les places publiques et les jardins de la ville. Quand les sahraouis s’installent c’est toute une ambiance qui hante la ville, les « halkas » prennent dimension, et même le nombre des filles de joie ambulantes augmente, quand ils partent ils laissent leurs « places vides » m’a raconté un homme khenifri.

Après Khénifra, c’est la haute Moulouya, Boumya et Aghbalou où le mont Ayachi, et ce sont les dernières contrées des moissons.

Quand les moissonneurs reviennent c’est toute l’oasis qui les accueille, et surtout les femmes et les enfants qui attendent leurs part des pois chiches, légumineuse qui se fait rare aux oasis.

La migration à l’Algérie

Dans les années quarante, les fermes de vignoble de colons en Algérie sont en plein essor, ce qui a nécessité une main d’oeuvre qui vient un peu partout du Maghreb, surtout du sud du Maroc. Cette migration fût très intéressante de point de vue sociologique, c’est elle qui a appris le sens du gain, du profit et d’investissement aux oasiens qui ont appris aussi de nouveaux métiers comme le petit commerce des boutiques, la boucherie…

Quand les oasiens reviennent de l’Algérie, ils refusent de participer leurs petits capitaux avec les frères et les cousins et demandent les dissolutions des patrimoines pour la première fois, et ce fût le premier coup dur pour le clan, la famille patriarcal et la propriété collective, et par extension aux valeurs ancestrales de la tribu.

Et curieusement les fils d’anciens migrants en Algérie sont devenus parmi les meilleurs entrepreneurs oasiens dés les soixantaines.

Mogha

C’est vrai, que quelques oasiens ont exploité leur existence en Algérie pour passer en France, et c’est vrai aussi que des migrations en France sont à signaler dés lors, des migrations par contrats de travail qui se vendent et s’achètent couramment. Mais le phénomène de Mogha, l’homme d’affaire français qui organisa des traites aux hommes semblable à la traite des esclaves médiévale dans les oasis de Goulmima, Tinjdad, Tinghir et le Souss, le phénomène reste sans égal.

L’homme rassemblait les jeunes dans les terrains du football, les examinent torse nu et cachetait en rouge les refusés et en vert les admis pour les mines du charbons du nord.

Cette traite fût sauvegardée par des chansons oasiennes que chante les femmes et les filles dans des airs tristes.

L’humiliation du Mougha n’est acceptée que par les couches inférieures des castes oasiennes.

Avec la migration organisée par Mogha ce fût une révolution au pays, « c’est Mogha qui nous a libéré » disent les anciens métayers, paysans sans terre, qui peuvent désormais acheter la terre aux anciens propriétaires qui ne trouvent plus de Khemass pour cultiver la terre qui est laissée à la jachère, un problème sérieux qui a appauvrit les oasiens qui ne s’intéressent plus à leurs terres. Ce n’est pas seulement la sécheresse qui est derrière la misère, c’est aussi le changement culturel qui ne valorise plus la rente naturelle au détriment du salariat.

« Lhrig » ou les « Paterras » de la mort, et la mondialisation

Les années soixante dix n’étaient pas heureuses dans nos oasis, trois facteurs accentuent la misère, la sécheresse, l’irrigation mécanique comme produit de l’investissement sauvage de l’argent des immigrés, et l’ajustement structurel comme choix politique de l’Etat qui se désengage des secteurs sociaux, des recrutements des oasiens, historiquement hautement scolarisé. Et l’on peut parler même des désastres écologiques comme celui de Tinjdad. Et c’est les vagues de migrations noires qui saisissent les oasis jumelles, Ait Tayarat- leur nom au temps des Almohad, nous apporte Albaydaq, l’historiographe officiel de la dynastie- des vagues à des fréquences qui dépeuplassent nos sites, et cette fois c’est encore des « déportations » de familles entières, femmes, enfants et vieillards…

Les formes de « déportations » fussent simples au début, et c’est parfois de simples voyages où l’en emporte l’élu comme un membre de la famille, soit avec les bagages dans le coffre arrière, ou camouflé au niveau des douanes, ou même sans aucune précaution en profitant du grand nombre de passagers aux frontières.

Puis après, les choses s’organisent par la falsification des « papiers » ou « l’achat de la route ». La solidarité légendaire des oasiens aida à construire des réseaux familiaux et territoriaux, des événements tragiques se succédèrent, le démantèlement de falsificateurs de passeports, la mort par étouffement des « déportés » « empaquetés » comme n’importe quelle marchandise à l’intérieure des matelas, et enfin la mort par noyades dans le détroit, phénomène moins important si on compare avec les migrants de Tadla. Les réseaux familiaux épargnent de telles tragédies aux oasis. Il va sans dire l’importance de s’installer d’abord à Tanger ou Nador comme antichambre d’Eldorado, en travaillant dans des usines ou comme ouvriers de bâtiment.

On ne peut finir notre rapport sur les migrations oasiennes sans parler d’une autre forme, organisée cette fois, c’est la loterie américaine ou la migration canadienne qui sont plutôt réservés à l’intelligentsia oasienne. Et c’est une autre crémation de la société, peut être la plus grave.

Publié dans Sociologie

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